The Beatles, composé de John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr, fut un groupe de rock et pop anglais, qui demeure, en dépit de la séparation de ses membres en 1970, l'un des groupes de rock les plus populaires au monde. En 12 ans d'existence, et seulement sept ans de carrière discographique, les Beatles firent paraître 12 albums, de 1962 à 1970, et composèrent plus de 200 chansons.
Les chansons des Beatles ont marqué les années 1960 et les générations suivantes et leurs mélodies ont été adaptées à de nombreux styles musicaux, notamment le jazz ou le classique (symphonique). Aujourd'hui, le groupe jouit toujours d'une grande popularité, leurs chansons sont jouées et reprises dans le monde entier. Les auteurs-compositeurs John Lennon et Paul McCartney (connus en duo sous le nom de Lennon & McCartney) restent célèbres comme créateurs de standards qui ont fait l'objet de quelques milliers d'adaptations dans les décennies qui suivirent.
Les Beatles demeurent les artistes ayant vendu le plus grand nombre de disques au monde. Le dernier chiffre publié (dans les années 1980) dénombrait plus de 1 milliard de disques et de vinyles vendus à travers la planète. Un biographe de Paul McCartney a calculé par ailleurs dans les années 1970 qu'à tout moment, l'une des 1 200 interprétations de la chanson Yesterday était jouée par une radio quelque part dans le monde.
1957 - 1962 : Les débuts :
"Rien ne m'a vraiment touché jusqu'au jour où j'ai entendu Elvis. S'il n'y avait pas eu un Elvis, il n'y aurait pas eu les Beatles" John Lennon est un adolescent de Liverpool élevé par sa tante "Mimi". Son père, Alfred "Freddie" Lennon, marin, a rapidement délaissé sa mère, Julia Stanley, et son enfant qu'elle n'avait pas les moyens de garder seule auprès d'elle. Dès qu'il découvre Elvis Presley et le rock n roll, John veut devenir musicien et ne tarde pas à monter son premier groupe: The Quarrymen.
Le 6 juillet 1957, à Woolton, dans la banlieue de Liverpool John Lennon, 16 ans, et son groupe de skiffle donnent un concert pour la fête paroissiale de l'église St Peter. À la fin du concert, Ivan Vaughan, un ami commun, présente Paul McCartney à John Lennon. Paul prend alors une guitare et joue "Twenty Flight Rock" d'Eddie Cochran devant un John un peu éméché mais néanmoins très impressionné. Quelques jours plus tard, Pete Shotton, autre membre de The Quarrymen propose à Paul de se joindre au groupe. Paul, qui n'a que 15 ans, accepte.
En février 1958, sur l'insistance de Paul, et malgré les réticences de John qui le trouve vraiment trop jeune, George Harrison, intègre le groupe comme guitariste solo. À trois, au sein d'une formation à géométrie variable, avec ou sans batteur, ils jouent dans les clubs de Liverpool, comme le Jaracanda, coffee-shop dirigé par leur manager Alan Williams ou la Casbah, dirigée par Mona Best, la mère de Pete Best. D'autres portes s'ouvrent ensuite, dont le Cavern Jazz Club, alors que le rock n roll et le Mersey Beat, style des groupes de Liverpool devient populaire dans cette ville.
Autodidactes, influencés par le rock n roll, (Chuck Berry, Buddy Holly, Elvis Presley bien sûr, Little Richard, Gene Vincent...) et le blues noir américain, ils jouent les morceaux de rock du moment à l'oreille, sans partitions. Mais dès le départ aussi, John Lennon et Paul McCartney s'associent et s'entendent pour écrire ensemble des chansons, par dizaines, affinant leur technique au fur et à mesure. Quelques-unes d'entre elles ressortiront sur les albums des Beatles bien des années plus tard. Il partagent également un drame qui les rapproche : Paul McCartney a perdu sa mère, terrassée par un cancer en 1956. Julia Stanley meurt écrasée par une voiture en 1958.
Les futurs Fab Four utilisent d'abord différentes variantes de leur nom (Beetles, Silver Beetles, Beatals, Silver Beats) avant de se fixer sur le mot-valise Beatles. Courant 1960. Il s'agit en fait de références au groupe The Crickets accompagnant Buddy Holly (Buddy Holly & The Crickets) et au film L'Équipée sauvage avec Marlon Brando, où il est question d'un gang du nom de "Beetles" (scarabées), d'une part, et au rythme (beat) du rock n roll (appelé beat music), d'autre part. Les quatre adoptent définitivement cette appellation (attribuée à John Lennon et Stuart Sutcliffe) en août 1960, lorsque débute leur premier engagement sérieux, à Hambourg où ils rencontreront Klaus Voormann et Astrid Kirchherr.
Cinq jours avant de partir pour l'Allemagne, le 17 août 1960, ils ont auditionné et engagé Pete Best comme batteur, alors que Stuart Sutcliffe est leur bassiste depuis le début de l'année. Mais ce dernier, copain de John Lennon, qui a pu rejoindre le groupe tout simplement parce qu'il avait assez d'argent (artiste-peintre en devenir, il a vendu une de ses toiles) pour s'acheter un instrument, ne sait pas en jouer. Il se produit dos au public afin que cela ne se voie pas. Sutcliffe tombe amoureux d'Astrid Kirchherr (qui prendra les premières photos du groupe, des clichés restés célèbres) et décide de rester à Hambourg en 1961 lorsque ses camarades regagnent l'Angleterre. Paul McCartney, jusque-là guitariste au même titre que John Lennon et George Harrison, devient à ce moment-là le bassiste du groupe. Sutcliffe décède le 10 avril 1962 d'une congestion cérébrale, 3 jours avant que les Beatles ne reposent le pied sur le sol allemand pour un nouvel engagement de sept semaines au Star Club.
Les Beatles font en tout cinq séjours à Hambourg (août à novembre 1960, mars à juillet 1961, avril à mai 1962 puis novembre et pour finir décembre 1962), le premier d'entre eux étant interrompu par le renvoi dans son pays de George Harrison car... il est encore mineur! Pour satisfaire le public des clubs de la cité hanséatique, les Beatles élargissent leur répertoire, donnent des concerts physiquement éprouvants, et recourent aux amphétamines. D'autres groupes liverpuldiens se produisent à Hambourg, comme «Rory Storm & The Hurricanes», dont le batteur se nomme Ringo Starr. Les Beatles envient sa notoriété et apprécient sa compagnie. Les deux groupes ont partagé l'affiche au Kaiserkeller pendant plus d'un mois en octobre-novembre 1960, et Ringo a déjà occasionnellement joué avec eux.
C'est aussi à Hambourg qu'ils décrochent leur premier contrat d'enregistrement, chez Polydor et en tant qu'accompagnateurs du chanteur et guitariste Tony Sheridan. Le 45 tours "My Bonnie" par "Tony Sheridan & The Beat Brothers" est publié en octobre 1961.
"J'ai grandi à Hambourg, pas à Liverpool" dira John Lennon.
À leur retour d'Allemagne, les Beatles ont acquis la maturité qui leur manquait, techniquement d'abord, sur scène ensuite. Après leurs deux premiers voyages formateurs à Hambourg, le 9 novembre 1961, Brian Epstein vient voir les Beatles au Cavern Club de Liverpool, le café souterrain où ils se produiront près de 300 fois jusqu'au 3 août 1963. Disquaire à l'origine, Epstein n'a jamais dirigé de formation musicale auparavant mais connaît quelques-uns des à-côtés qui mènent à la popularité d'un artiste. Il va devenir leur mentor et les propulser au rang de musiciens professionnels. Il va leur faire adopter une nouvelle tenue vestimentaire et abandonner les vêtements en cuir. Les Beatles devront maintenant jouer en complet veston, comme les professionnels, avec leur coupe de cheveux caractéristique. Initiée par Astrid Kirchherr (compagne de Sutcliffe) pour certains, par John Lennon et Paul McCartney à l'issue d'un court séjour à Paris en septembre 1961, pour d'autres, la coupe Beatles était déjà celle du personnage Moe dans les Trois Stooges. Brian Epstein fait aussi le tour des maisons de disques afin de leur faire signer un contrat d'enregistrement.
Epstein multiplie les tentatives auprès des grandes compagnies discographiques. Un échec restera célèbre chez Decca, où les Beatles seront auditionnés le 1er janvier 1962 en enregistrant 15 titres en une heure : Dick Rowe, le directeur artistique (A&R) de Decca sera surnommé dans le milieu "The man who turned down the Beatles" pour avoir dit au jeune manager "Rentrez chez vous à Liverpool, M.Epstein, les groupes à guitares n'intéressent plus personne".
Finalement, seul George Martin, alors producteur chez Parlophone, une division d'EMI, se montre intéressé. George Harrison racontera ainsi la première audition dans les studios d'Abbey Road, le 6 juin 1962: "Les autres membres du groupe m'ont presque tué lorsque George Martin nous a enregistrés pour la première fois. En nous rejouant la bande, il nous a demandé : 'Y a-t-il quelque chose qui ne vous plaît pas?'. Je l'ai regardé et j'ai dit : 'Pour commencer, je n'aime pas votre cravate', et les autres : 'ohhh non!, On essaye de décrocher un contrat ici!'. Mais George avait lui aussi le sens de l'humour".
George Martin va "signer" les Beatles, mais il n'aime pas beaucoup le style de Pete Best et suggère de le remplacer pour les premières véritables sessions d'enregistrement. Le groupe ne se fait pas prier et s'en sépare en août 1962 pour le remplacer par Ringo Starr (Richard Starkey), avec qui les affinités sont bien plus grandes. Une éviction brutale, qu'ils n'annonceront même pas eux-mêmes à Pete Best (c'est Brian Epstein qui s'en chargera). La formation restera dans cette composition, avec George Martin aux manettes, jusqu'à sa séparation.
Ils enregistrent en septembre de la même année leur premier 45-tours : Love Me Do. Il est à noter que pour la version de Love Me Do qui est présente sur l'album Please Please Me, le batteur est Andy White, un musicien de studio, tandis que sur le single publié le 5 octobre 1962, c'est Ringo Starr qui tient la batterie.
À l'instigation de Brian Epstein qui met à profit sa connaissance de disquaire, les Beatles alterneront des sorties de disques isolées ("45 tours" ou "singles", deux titres) qui ne seront pas sur les albums et d'albums dont seront extraits des singles lancés plus tard, accréditant ainsi l'idée qu'acheter un album des Beatles est une valeur sûre où l'on trouve déjà les succès que les autres ne découvriront que demain.
Pete Best, amer, sortira son propre album, Best, of the Beatles (notez la virgule !), mais celui-ci restera anecdotique. Les bizarreries des Beatles les plus recherchées de l'époque sont leurs premiers enregistrements avec Tony Sheridan, leurs chansons qu'ils interprètent en allemand, où ils se contentent de réenregistrer leur voix sur les bandes instrumentales existantes et même… des chansons sorties en 78 tours en Inde !
1963 - 1966 : La « beatlemania » :
Le 5 octobre 1962 sort Love Me Do qui n'atteint que le 17e rang au palmarès britannique. Ce n'est pas encore la « beatlemania ».
Leur deuxième 45 tours, Please Please Me, dont les paroles sont ambiguës pour l'époque (« You don't need me to show the way, girl » que l'on peu traduire par « fille, tu n'as pas besoin de me guider »!) est propulsé au premier rang. Les Beatles obtiennent ainsi l'opportunité d'enregistrer un album complet, ce qu'ils feront en 585 minutes. Intitulé Please Please Me (sorti le 22 mars 1963), cet album atteint également la tête du hit-parade où il se maintient durant sept mois.
Partie de Liverpool (où ils continuent jusqu'en août 1963 à enflammer le Cavern Club), la popularité des Beatles se répand dans tout le Royaume-Uni qu'ils sillonnent inlassablement, y effectuant quatre tournées cette année-là. Les succès se suivent : From me to you en avril, puis She loves you en août sont classés numéro 1 au hit-parade. She loves you rend les Beatles célèbres dans toute l'Europe. Leur passage, le 13 octobre 1963 dans la très populaire émission télévisée Sunday Night at the Palladium marque le début du phénomène que la presse britannique baptisera Beatlemania. Disquaires pris d'assaut, ferveur généralisée, jeunes filles en transes... Le groupe va aligner douze n°1 successifs dans les charts britanniques, jusqu'à la publication en février 1967 du single "double face A" Strawberry Fields Forever/Penny Lane, seulement n°2 (mais premier aux Etats-Unis).
le 4 novembre 1963, les quatre musiciens de Liverpool se produisent devant la famille royale au Théatre Prince of Wales de Londres pour le Royal Command Performance, où un John Lennnon irrévérencieux, avant de se lancer dans l'interprétation de Twist and Shout dit au public : "On the next number, would those in the cheaper seats clap your hands ? All the rest of you, if you'll just rattle your jewelry!/Est-ce que les gens installés dans les places les moins chères peuvent taper dans leurs mains ? Et tous les autres, agitez vos bijoux !".
En tête des hit-parades, Please Please Me n'est remplacé à la première place que par le deuxième album du groupe, With The Beatles (publié le 22 novembre 1963). Ces deux disques seront exportés respectivement sous les noms de Meet The Beatles et The Beatles' Second Album, spécifiquement pour les États-Unis, en ayant préalablement subi divers traitements tels que le raccourcissement de la tracklist, la modification de l'ordre des pistes, ou bien celle du son (écho, stéréo, ...), etc.
Ils entreprennent des tournées mondiales, mais les maisons de disques américaines affichent leur mépris pour ce qu'ils pensent être un phénomène passager. Leur cinquième 45-tours I Want To Hold Your Hand, est leur premier nº 1 sur le marché américain (1er février-14 mars 1964) et sera détrôné par She Loves You (21-28 mars), suivi de Can't buy me Love (4 avril-2 mai) ! : la « beatlemania » qui avait débuté au Royaume-Uni se propage de l'autre côté de l'Atlantique. Là-bas pourtant leurs disques seront brûlés quand John déclare en 1966 qu'ils sont plus populaires que Jésus.
Il s'en expliquera pourtant immédiatement avec vigueur, remarquant que s'il avait parlé ainsi de la télévision plutôt que des Beatles, chacun n'aurait pu qu'acquiescer. Il conclut sa conférence de presse en disant « Je ne vois pas un mot à changer à mes propos. Je peux à la rigueur vous présenter des excuses au cas où cela vous ferait plaisir ».
Les États-Unis, alors en pleine guerre du Viêt Nam, voient leurs soldats se battre et mourir, acceptent mal les propos d'un Britannique désinvolte, bien que ceux-ci ne les visent pas directement.
Analyse du phénomène :
La «beatlemania» fut un phénomène d'ampleur et à plusieurs facettes. La jeunesse prend goût à se coiffer et s'habiller à la Beatles, comme en témoignent les photos de l'époque, prises dans les rues. Par exemple, des disquaires se spécialisent sur la discographie des Beatles, et pour mieux gérer ses stocks la société EMI/Parlophone propose la présouscription des albums à suivre, même s'ils sont encore à l'état de projet. L'atmosphère hystérique des concerts rend parfois ceux-ci presque inaudibles; le premier ministre britannique remarque néanmoins que ces artistes constituent pour le pays une excellente « exportation », notamment en termes d'image : celle de jeunes gens souriants, polis, bien habillés, et pleins d'un humour très britannique lors des interviews. Ils seront décorés par la reine du Royaume-Uni, le 12 juin 1965, de la médaille de Member of the British Empire (MBE). C'est en fait la plus basse des décorations. Qu'importe ! Certains MBE, froissés, renverront par dépit leur propre croix à Sa Très Gracieuse Majesté. Les vrais honneurs arriveront beaucoup plus tard, quand Sir James Paul McCartney, ainsi que Sir Mick Jagger, de The Rolling Stones seront anoblis.
Dans les années 1960 l'industrie musicale est en pleine expansion. Désormais il est possible de donner des concerts dans des salles de plus en plus grandes. A de la télévision les émissions sont de plus en plus regardées par un public familiale (les Beatles furent les premiers à passer dans une émission diffusée en « Mondovision », dans le monde entier en juin 1967 avec la chanson All You Need Is Love).
Depuis 1965, les Beatles ne chantaient pratiquement plus qu'en playback à la télévision et Paul s'en expliquait : « Nous faisons un très important travail de studio, corrigeant inlassablement la moindre imperfection avec une précision maniaque. Pas question d'offrir aux téléspectateurs, alors que ce son existe, un autre son déformé par les mauvais studios des plateaux de TV ». Toujours en 1965, les Beatles prennent la résolution de ne plus donner d'autographes : « Nous n'avons tout simplement pas assez de bras, et nous devons tout de même pouvoir utiliser nos guitares de temps en temps ! ».
Les Beatles ont l'intelligence de mêler à des standards du rock comme Kansas City des chansons susceptibles de plaire à la génération précédente (Till There Was You, You Really Gotta Hold on Me ; Besame Mucho restera dans les cartons). Notons que ces chansons, - y compris Besame Mucho - font partie du répertoire des Beatles depuis Hambourg.
Pour ne pas se faire cataloguer comme « Mods » et perdre le public des « Rockers », Brian Epstein a eu une idée : les Beatles, retrouvant un moment le cuir de leurs débuts, vont sortir un disque de quatre titres de rock pur et dur (Matchbox, I Call Your Name, Long Tall Sally, et Slow Down) qui sera le « disque des initiés » et montrera « ce que les Beatles savent vraiment faire quand ils le veulent ». Satisfaits par cet os à ronger, les rockers ne dénigreront plus les Beatles eux-mêmes, mais les fans qui achètent leurs autres disques et ne sachant pas ce qu'est la vraie musique des Beatles, qui ont montré qu'ils savaient faire bien mieux que de la pop. La présence d'un « standard de rock » deviendra pour se concilier ce public (mais aussi pour se faire plaisir) un incontournable des albums.
Dans le film A Hard Day's Night, tourné en noir et blanc pour ne pas coûter trop cher, mais aussi pour masquer le fait qu'ils n'ont pas la même couleur de cheveux, et confié à Richard Lester, les Beatles orchestrent habilement leur propre légende, avec un humour très britannique. Cet humour devient délirant avec Help!, à l'été 1965 (couleurs), où les Beatles se moquent d'eux-mêmes. On va jusqu'à les comparer aux Marx Brothers, ce que John estime excessif. George Harrison, lui, noue une solide amitié avec Eric Idle et le groupe des Monty Python.
L'humour britannique reste une composante incontournable des Beatles. Quelques exemples tirés d'interviews :
« - Que craignez-vous le plus ? La bombe atomique ou les pellicules ? (ricanements)
- La bombe atomique, puisque nous avons déjà des pellicules (hurlement de rire de l'auditoire) »
« Pouvez-vous nous chanter quelque chose ?
- L'argent d'abord ! »
« Répétez-vous beaucoup ?
- Pour quoi faire ? Nous jouons déjà en concert tous les soirs, vous savez. »
« Vous jouiez autrefois des standards. Pourquoi ne le faites-vous plus ?
- Parce que maintenant, nous en créons. »
« Ringo, êtes-vous des mods ou des rockers ?
- Personnellement, je suis un moqueur » (sera repris dans le film A Hard Day's Night)
« Comment avez-vous trouvé l'Amérique ?
- En tournant à gauche au Groenland ! »
L'album Rubber Soul sera plus tard ainsi nommé pour pasticher l'expression plastic soul (âme influençable). Rubber SOLE, qui se prononce presque à l'identique, signifie semelle de caoutchouc !
John Lennon avait soigné son personnage avant-gardiste en écrivant en 1964 et 1965 deux livres de courtes nouvelles dans un style imagé et surréaliste, In His Own Write, puis A Spaniard in the Works. La critique de l'époque ne leur fait pas bon accueil, mais Christiane Rochefort traduira le premier sous le titre En flagrant délire.
Entre-temps, le Beatles fan club travaille à chouchouter un réseau de fans à qui on concède des bonus (photos inédites, disques hors commerce offerts à Noël) fans qui contribuent à entretenir la popularité des Beatles dans l'opinion. Interviennent Brian Epstein pour la partie organisation et George Martin pour la partie musicale. Dès le début des années 1960, George Martin fait à tout hasard enregistrer un album de musique symphonique inspirée des Beatles. Un autre, plus élaboré, suivra bien plus tard pour le remplacer. Vers l'an 2000, un CD nommé Beatles Go Baroque et issu des pays de l'Est fera de même.
La conquête de l'Amérique :
Les Beatles donnent une série de concerts à l'Olympia à Paris, du 16 janvier au 4 février 1964 et sont logés à l'hôtel George V où ils apprennent qu'ils viennent de décrocher leur premier nº 1 aux États-Unis : c'est I Want To Hold Your Hand. Une scène de grande joie collective s'ensuit. Trois jours après leur dernière prestation dans la salle parisienne, une foule immense est à leurs côtés à l'aéroport londonien d'Heathrow, au moment où ils s'embarquent pour le Nouveau Monde. De l'autre côté de l'Atlantique, c'est encore la foule (plus de 3 000 fans surexcités) qui les attend lorsqu'ils se posent sur le tarmac du John Fitzgerald Kennedy Airport de New York, le 7 février 1964. Un évènement majeur va secouer l'Amérique moins de 48h plus tard : plus de 70 millions de personnes assistent en direct à leur première prestation télévisée, lors du Ed Sullivan Show diffusé sur CBS le 9 février. Cette audience, record absolu pour l'époque, reste encore de nos jours parmi les plus élevées de l'histoire.
Après un premier concert dans des conditions difficiles au Coliseum de Washington (la scène est au milieu de la salle, comme un ring, la batterie doit pivoter et les musiciens se retourner pour faire face à une partie ou à l'autre du public, le matériel fonctionne mal…) et un nouveau passage dans le Ed Sullivan show en direct de Miami le 16 février, les Fab Four (les quatre fabuleux) rentrent au pays. L'Amérique est emportée par la beatlemania, rendez-vous est pris pour une première tournée de 25 dates à travers le pays, à guichets fermés, du 19 août au 20 septembre 1964. C'est pendant cette tournée estivale des États-Unis que les Beatles rencontrent Bob Dylan, et que ce dernier leur fait essayer la marijuana pour la première fois. Une «découverte» qui aura une importance incontestable dans l'évolution de leur musique. La légende veut que Dylan ait pris le "I can't hide" (je ne peux le cacher) de I Want To Hold Your Hand pour "I get high" (je plane) et qu'il ne se soit ainsi pas gêné pour proposer un "reefer" aux Beatles.
L'histoire d'amour entre les Beatles et l'Amérique, où ils enchaînent les nº 1 en 1964 et 1965, trouve un point d'orgue le 15 août 1965 en ouverture de leur 2e tournée outre-Atlantique. Ce jour-là, ils sont le premier groupe de rock à se produire dans un stade, le Shea Stadium de New York, devant 56.000 fans déchaînés et dans des conditions… pas prévues pour ce genre de spectacle dans telle une arène, sous les hurlements de la foule. Les Beatles se produisent seulement munis de leurs amplis Vox, et sont repris par la sono du stade, c'est-à-dire les haut-parleurs utilisés par les «speakers» des matches de base-ball. Bref, on peut quasiment dire que ni eux ni le public n'entendront clairement une note de cette prestation historique. Les documents filmés ce jour-là démontrent cependant que les Beatles arrivent à jouer, et que c'est John Lennon qui les empêche de se retrouver paralysés par l'évènement en multipliant les pitreries, comme parler charabia en agitant ses bras pour annoncer un titre en se rendant compte que personne ne peut l'entendre, ou maltraiter un clavier avec ses coudes au moment de l'interprétation de I'm down.
Les voilà abonnés aux premières places des charts américains jusqu'à la fin de leur carrière.
Vers Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band :
Un soir d'avril 1965, un ami dentiste de George Harrison et John Lennon charge leur café, ainsi que ceux de leurs épouses Cynthia Lennon et compagne Pattie Boyd avec une substance pas encore illicite : le LSD. Ils découvrent donc cette drogue sans l'avoir voulu, mais John va en devenir un gros consommateur pour au moins les deux années suivantes, tous vont l'essayer (Paul, très réticent, sera le dernier, en 1966, mais le premier à en parler à la presse), et d'une façon générale, la musique et les paroles des Beatles vont encore évoluer sous l'influence de cette substance hallucinogène.
À l'automne 1965, ils enregistrent un album charnière dans leur carrière : Rubber Soul. Les textes sont plus philosophiques, plus fouillés (la poésie de Lennon, l'influence de Bob Dylan déjà présente dans You've Gotta Hide Your Love Away de l'album Help!), aux thèmes plus sérieux. La musique est devenue élaborée, les techniques d'enregistrement en studio sont en progression, le temps qui y est passé également. Leur immense succès est la garantie pour eux d'une liberté de plus en plus grande dans la création et la possibilité de bousculer les codes en vigueur (par exemple les horaires, ou le simple fait de pouvoir se déplacer de la salle d'enregistrement à la cabine, devant la table de mixage) dans les austères studios EMI.
La chanson Girl plaît alors à une majorité - toutes générations confondues - et consacre les Beatles comme musiciens tout court et non musiciens pour les jeunes. Innovation dans la musique rock, John Lennon est accompagné par un sitar joué par George Harrison (qui s'intéresse de plus en plus à la musique indienne) dans son titre Norwegian Wood.
In My Life est une chanson de John que l'on peut comparer à There's a Place, car les deux titres s'apparentent à un bilan du chemin parcouru : au départ un groupe à l'harmonie vocale de qualité (sa maîtrise de la polyphonie n'a pas été étrangère à son succès et a presque relégué aux oubliettes les précédents champions américains du genre, The Four seasons), œuvrant dans la plus grande économie de moyens ; en 1965, la musique prend une bien plus grande importance que les voix, dont les fans les plus attentifs remarquent d'ailleurs qu'elles « commencent à s'altérer ». La raison ? Beaucoup de concerts cette année-là, bien sûr, mais aussi des transformations électroniques. Et en particulier un procédé inventé à la demande des Beatles : alors que c'est la complémentarité de leurs voix qui avait fait leur succès, John comme Paul préfèrent maintenant le double tracking, où chacun chante en double avec lui-même à l'unisson. Le procédé est toutefois «lent» et «fastidieux», car tout doit être fait en double. Cela dit, les harmonies vocales restent bien présentes (Drive My Car, Nowhere Man, If I Needed Someone, The Word, Wait) et ils continuent à s'amuser comme des garnements en choeur, comme sur le pont de la chanson Girl de John Lennon, que McCartney et Harrison ponctuent par des "Tit tit tit tit" ("nichon" en anglais).
Rubber Soul se caractérise par une rupture, qui est celle de la «trame 4 périodes» typique des premières chansons des Beatles : un couplet, un autre couplet, un moment d'instrumental, une reprise du second couplet. Les Beatles, qui ne veulent pas devenir victimes d'un «procédé», rendent ici l'alternance de leurs parties chantées et vocales moins prévisible. Rupture encore : la 4e plage de Rubber Soul, Nowhere Man n'est rien d'autre que le premier titre des Beatles qui n'est pas une chanson d'amour. Rupture toujours : il n'y a pas une seule reprise d'un quelconque standard du rock n roll ou autre sur ce 6e disque des Beatles. Et il n'y en aura plus jamais...
La technique d'écriture en tandem de John Lennon et Paul McCartney est à son apogée. Au quotidien ou quasiment, l'un amène une chanson dont la trame est plus ou moins avancée, l'autre y ajoute des paroles ou une idée musicale supplémentaire. La compétition et l'émulation battent également leur plein : le jour de la publication de Rubber Soul (3 décembre 1965), sort également le 45 tours Day Tripper/We Can Work It Out. Le premier titre est de John, le second de Paul, et les deux compères se bagarrent pour figurer sur la face A du single (tube assuré). Il est alors décidé que ce seront deux faces A. Lesquelles montent de concert à la première place des charts, et pour cinq semaines consécutives.
À l'époque, hors de leur "compétition interne", la plus sérieuse émulation pour Beatles vient d'outre-Atlantique. En effet si The Rolling Stones commencent tout juste à émerger en adoptant volontairement une attitude de mauvais garçons, ce sont The Beach Boys qui opposent les qualités les plus grandes en termes d'harmonies vocales, de recherches mélodiques et de techniques d'enregistrement. L'album Pet Sounds, conçu par Brian Wilson comme une réponse aux innovations de Rubber Soul sera d'ailleurs une source d'inspiration pour Sergent Pepper.
Le marketing, lui, n'a pas perdu ses droits. On avait laissé filtrer une information indiquant que dans cet album le batteur Ringo quittait sa batterie pour jouer de l'orgue. Lors de la sortie de l'album, tout le monde cherche la plage concernée (c'est I'm Looking Through You) dans l'espoir d'y découvrir un morceau de virtuosité du style de la Toccata en ré mineur de Johann Sebastian Bach (BWV 565). Éclat de rire. Ringo répète en fait d'un bout à l'autre de la chanson le même accord : le côté farceur des Beatles a encore frappé.
À l'été 1966, leur album suivant Revolver est de la même veine. And Your Bird Can Sing reprend et développe des effets de guitare qui n'apparaissaient que discrètement à la fin de Ticket To Ride. John Lennon est au meilleur de sa forme, inspiré, et innove beaucoup avec Dr Robert, Tomorrow Never Knows, She Said, She Said et I'm Only Sleeping où le solo de guitare est passé à l'envers. Paul McCartney s'affirme en mélodiste exceptionnel avec Eleanor Rigby, For No One, Here There and Everywhere et a aussi l'idée de la chanson Yellow Submarine pour Ringo Starr. Le sitar indien, qu'on avait déjà timidement entendu dans Norvegian Wood, a séduit George Harrison ; son admiration pour l'Inde, dont il ne se départira plus, devient flagrante avec Love You To. Une autre chanson de George Harrison ouvre le disque: "Taxman". La galerie de thèmes et de personnages s'élargit : un percepteur, une bigote solitaire, le sommeil et la paresse, le capitaine d'un sous-marin jaune, un docteur douteux, le Livre des morts tibétain... La pochette du disque est dessinée par leur ami Klaus Voormann.
Tomorrow Never Knows, dernier titre de Revolver, est un cas particulier : joué sur un seul accord, incluant des boucles sonores préparées par Paul, des bandes mises à l'envers, accélérées, mixées en direct avec plusieurs magnétophones en série actionnés par autant d'ingénieurs du son (8 ou 9) envoyant les boucles à la demande vers la table de mixage, il ouvre l'ère du psychedelic rock et peut aussi être considéré comme le titre précurseur de la techno. Les prouesses de George Martin et des ingénieurs du son des studios EMI (à commencer par Geoff Emerick) vont jusqu'à répondre aux demandes de John Lennon, désirant que sa voix évoque celle du Dalaï-Lama chantant du haut d'une montagne. Effet qu'ils élaborent en faisant passer la voix de John dans le haut-parleur tournant d'un Orgue Hammond qu'on appelle un Leslie Speaker. Le Leslie tourne sur lui-même pour donner au son de l'orgue un effet tournoyant, et il donnera à la voix de John l'air de surgir de l'au-delà. « De tous les morceaux des Beatles, c'est celui qui ne pourrait pas être reproduit : il serait impossible de remixer aujourd'hui la bande exactement comme on l'a fait à l'époque; le 'happening' des bandes en boucle, quand elles apparaissent puis disparaissent très vite dans les fluctuations du niveau sonore sur la table de mixage, tout cela était improvisé » écrira George Martin dans son livre "Summer of love, The Making of Sgt Pepper's"
L'arrêt des tournées :
Jusqu'en 1966, les Beatles enchaînent à un rythme infernal tournées, compositions, sessions d'enregistrement et sorties de «singles» et d'albums. Mais plus leur succès grandit, plus leurs prestations publiques se déroulent dans des conditions impossibles, dans des salles de plus en plus grandes alors que les moyens de sonorisation sont encore balbutiants, et surtout, sous les cris stridents de la gent féminine qui couvre complètement leur musique, au point qu'ils ne s'entendent pas jouer et se rendent compte que le public ne les entend pas non plus.
La différence entre leur production en studio, de plus en plus complexe et ce qu'ils arrivent à «sortir» sur scène devient criante. Leur répertoire scénique reste quasiment le même au fil des années, et ils constatent les dégâts dès qu'ils s'attaquent à des titres plus récents, comme par exemple Nowhere Man ou Paperback Writer.
Des évènements vont se succéder à l'été 1966 qui vont précipiter leur décision de mettre un terme définitif à ce que John Lennon considérera comme «de foutus rites tribaux». C'est tout d'abord à Manille, aux Philippines, qu'ils passent tout près d'un véritable lynchage pour avoir malencontreusement snobé à leur arrivée une réception donnée en leur honneur par la redoutable Imelda Marcos, épouse du dictateur, la veille de leur concert le 4 juillet. Toute protection policière leur est retirée lorsqu'ils repartent, une foule hostile les attend à l'aéroport, ils sont agressés, parviennent jusqu'à leur avion qui va rester bloqué sur la piste le temps que leur manager Brian Epstein aille se faire délester de la recette de leur concert.
Cette énorme frayeur les décide déjà à tout arrêter, mais il leur reste des dates estivales à honorer aux États-Unis. Là bas, ils subissent les conséquences de la tempête provoquée par les paroles de John Lennon: «Nous sommes devenus plus populaires que Jésus-Christ». Ils reçoivent des menaces, notamment du Ku Klux Klan. Ils craignent pour leur sécurité alors qu'ils se produisent dans des stades et que les conditions restent détestables. Ils n'en peuvent plus. La dernière date de cette tournée, le lundi 29 août 1966 au Candlestick Park de San Francisco, onze titres interprétés en un peu moins de 35 minutes sur une scène entourée de grillages, au milieu d'un pelouse où la chasse policière au fan déchaîné bat son plein, devient leur dernier concert tout court.
«À Candlestick Park, on s'est sérieusement dit que tout ça devait s'arrêter. On pensait que ce concert à San Francisco pourrait bien être le dernier, mais je n'en ai été vraiment certain qu'après notre retour à Londres. John voulait laisser tomber plus que les autres. Il disait qu'il en avait assez», explique Ringo Starr. «Je suis sûr qu'on pourrait envoyer quatre mannequins de cire à notre effigie que les foules seraient satisfaites. Les concerts des Beatles n'ont plus rien à voir avec la musique. Ce sont de foutus rites tribaux», dit John Lennon. «C'était trop, toutes ces émeutes et ces ouragans. La Beatlemania avait prélevé sa dîme, la célébrité et le succès ne nous excitaient plus», se remémorera George Harrison.
L'arrêt des tournées marquera une première fissure dans la carrière des Beatles, partant du principe qu'un groupe de rock n roll qui ne joue plus sur scène n'est plus vraiment un groupe. D'ailleurs, tandis que John s'exclamera «Mais qu'est-ce que je vais faire maintenant ?» (il partira en fait tourner le film How I Won the War à Almeria en Andalousie avec Richard Lester), George déclarera tout de suite «Je ne suis plus un Beatle désormais».
Il faudra que Paul McCartney entraîne tout le monde dans un nouveau projet pour que ce ne soit pas la fin... mais un nouveau départ, loin des foules hystériques. Un projet qui consistera à envoyer un autre groupe, imaginaire, en tournée à leur place. Celui du Club des Cœurs Solitaires du Sergent Poivre.
1967 - 1970 : Les années studio :
Le triomphe de Sgt. Pepper's :
Adieu les tournées. À la fin de l'année 1966, les Beatles s'installent quasiment à plein temps dans les studios EMI d'Abbey Road, ils vont en exploiter toutes les possibilités. C'est le début de la période qui sera définie comme "les années studio". Ils s'amusent à coller des bouts des chansons, à lancer des bandes de musique par terre et à les recoller au hasard, à passer des morceaux à l'envers (Rain), en accéléré, à mélanger de nombreux instruments, des violons, des instruments traditionnels ou même des orchestres. À tenter tout ce qui est artistiquement possible en s'affranchissant d'un fardeau (ils sont les Beatles et doivent en permanence se mesurer à l'image que leur public a d'eux) pour prendre l'identité d'une fanfare à la fois "Edwardienne" et complètement dans l'air du temps, qui souffle depuis la Californie. Ce concept est signé Paul McCartney.
Cela débouche sur Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, publié le 1er juin 1967, disque qui est considéré par beaucoup comme leur chef-d'œuvre. D'autres y verront au contraire un album d'adieu (illustré par un massif fleuri où quatre Beatles tristes du musée de cire de Madame Tussaud semblent assister à leur propre enterrement, tandis que les quatre vrais Beatles sont donc devenus des musiciens de fanfare moustachus, et où une poupée à l'effigie de Shirley Temple annonce «Welcome the Rolling Stones»). Cet album marquera en tout cas leur carrière et toute une génération.
Pour répondre à leurs besoins, George Martin et son équipe doivent aller de plus en plus loin. Ils inventent ainsi le "vari speed" qui permet de faire varier la vitesse de défilement de la bande (procédé qui sera notamment utilisé sur Strawberry Fields Forever pour fondre deux prises différentes en une seule, ou sur Lucy In The Sky With Diamonds pour la voix de John Lennon) et le "reduction mixdown" : les quatre pistes d'un magnétophone, le maximum dont ils disposent à l'époque, sont réduites en une seule sur un autre appareil identique synchronisé, et trois nouvelles pistes sont ainsi libres. On peut multiplier ce procédé. De huit jusqu'à seize pistes avant l'heure. Pour la première fois dans l'histoire du rock, un groupe va passer un peu plus de cinq mois en studio, de décembre 1966 à avril 1967, pour construire son album.
La collaboration John Lennon/Paul McCartney atteint encore des sommets. Ensemble, ils écrivent With a Little Help From My Friends pour Ringo Starr, créent She's Leaving Home à partir d'un fait divers, concoctent Getting Better, où l'optimisme de l'un ("It's getting better all the time"/"ça va de mieux en mieux tout le temps") est contrebalancé par le pessimisme de l'autre ("It can't get no worse"/"Ca ne peut pas être pire"). Enfin, un bout de chanson de John ("I read the news today oh boy...") où il met en paroles une série de nouvelles lues dans la presse, accolé à une "ritournelle" de Paul ("Woke up, fell out of bed..."), le tout séparé par 24 mesures vides, qui seront remplies par un fameux glissando d'orchestre symphonique (clairement repris de Krzysztof Penderecki (Threnody for the Victims of Hiroshima, 1960) et de Iannis Xenakis (Metastasis, 1955), donnent le titre A Day In The Life. Ils écrivent ensemble la phrase "I'd love to turn you on" (J'aimerais te brancher) qui fera scandale pour sa connotation "drogue" et provoquera l'interdiction de la chanson sur la radio britannique.
Il est encore question de drogue, pour la plupart des observateurs de l'époque, avec le texte surréaliste et surtout les initiales (LSD) de la chanson Lucy in the Sky with Diamonds. Mais John Lennon explique qu'il est en fait parti d'un dessin que son fils Julian, 4 ans, a ramené de sa classe de maternelle en lui expliquant que c'était sa copine Lucy O'Donnell, "dans le ciel avec des diamants". Le compositeur sera le premier étonné de l'interprétation qui sera faite de son titre! Lucy sera également le nom donné, en honneur à la chanson, aux restes fossilisés d'un Australopithecus afarensis, sujet féminin vieux de quelque 3,2 millions d'années découvert en Ethiopie en 1974.
Enfin, Being For the Benefit of Mister Kite, entièrement composée à partir d'une affiche de spectacle de cirque du XIXe siècle par John Lennon (nouvelles prouesses techniques de George Martin et de son équipe pour répondre a ses demandes dans la fabrication de ce titre) est la 3e chanson interdite d'ondes à cause du personnage Henri the horse, puisque horse signifie héroïne en argot anglais. C'est bien sûr une interprétation totalement erronée de la part des "autorités compétentes"...
George Martin a voulu faire de Sgt Pepper's un concept album, en reliant certains morceaux, bien que les chansons n'aient aucun rapport entre elles, passées les deux du début (Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band et With a Little Help From My Friends). Pour unifier le tout, George Martin demande aux Beatles de faire une reprise du morceau Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band comme avant dernière piste de l'album. L'idée étant de jouer cette reprise comme avant dernier morceau lors des concerts. 40 ans plus tard, Paul McCartney reprendra l'idée lors de sa tournée « Back to the US » en 2002 en jouant la reprise de Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band en avant-dernier morceau. Quoi qu'il en soit, ce disque fera école et tout le monde (The Rolling Stones, The Moody Blues, Aphrodite's Child, The Clouds, The Who, The Kinks, etc.) voudra aussi sortir son concept album, quand bien même Sgt Pepper's n'en est pas vraiment un d'un point de vue strictement musical: il aura suffi que ses auteurs le disent pour que cela soit une réalité. Il n'y a en tout cas plus de plages séparées sur la version mono : les chansons y sont enchaînées à la manière d'un show, et l'album se termine par trois trouvailles :
* La longue décroissance (47 secondes !) d'une note de piano ;
* un sifflement à 20 000 Hz inaudible par l'homme et impossible à reproduire sur la plupart des électrophones de l'époque, mais dont John Lennon espère qu'il fera aboyer les chiens de ceux qui possèdent une bonne chaîne Hi-Fi ;
* un jingle sans fin sur le sillon intérieur, que ne pourront découvrir que les puristes de la Hi-Fi, ceux qui refusent d'avoir une platine à arrêt automatique en fin de disque (pour les autres, le bras se lèvera avant, ou juste au début).
L'album fait date dans l'histoire de la musique pop-rock : jamais un groupe n'avait disposé d'autant de temps, de moyens et de liberté pour enregistrer un album. Les Beatles exploitent donc pleinement cette opportunité et George Martin joue bien sûr un rôle clé dans l'exploration de nouvelles techniques.
La pochette, très soignée, et débordante de couleurs, a nécessité une centaine de lettres aux personnalités vivantes représentées afin d'obtenir leur accord. Trois personnages en sont retirés in extremis : Hitler et Gandhi, au motif qu'ils indisposeraient le public britannique et au grand désespoir du très provocateur John. Et un troisième personnage, l'acteur Leo Gorcey, qui voulait bien figurer sur la pochette, mais à condition d'être rétribué. On juge plus simple de le faire disparaître. Cette pochette est elle aussi un événement. C'est la première fois qu'autant de soin est apporté au conditionnement du disque. Jusqu'ici, les pochettes se résumaient le plus souvent à une photo de l'artiste ; à partir de Sergent Pepper, la conception de la pochette deviendra un élément clé (à la fois marketing et artistique) de la production d'un disque.
L'année suivante, Frank Zappa parodie la pochette avec l'album We're Only In It For The Money (nous ne faisons ça que pour l'argent) des The Mothers Of Invention. Un autre pastiche est réalisé pour The Rutles, une émission d'Eric Idle des Monty Python qui entreprend de caricaturer la carrière des Beatles à la manière du fameux groupe d'humoristes, avec la bénédiction - et en partie le financement - de son ami George Harrison, plus le concours de Paul Simon et Mick Jagger, qui y jouent leur propre rôle. Les pastiches des chansons des Beatles créées pour l'émission sont autant de clins d'œil aux tics musicaux de leurs modèles (Ouch! imité de Help!, Cheese and Onions qui a des accents d'A day in the life, Piggy in the Middle évoquant I am the walrus, Doubleback Alley qui est le cousin de Penny lane, etc.)
Les Bidochons pasticheront aussi cette pochette pour leur album The Beadochons. Toutefois, ce n'est pas elle qui sera le plus pastichée, mais celle d'Abbey Road. Même Paul McCartney s'y mettra.
Mort de Brian Epstein, premier "échec" :
Le 25 juin 1967, les Beatles se produisent devant plus de 400 millions de téléspectateurs à travers le monde, à l'occasion de la toute première émission diffusée par satellite, Our World. En direct des studios d'Abbey Road et en "Mondovision", ils interprètent une chanson spécialement composée par John Lennon pour l'occasion : All You Need Is Love. Le triomphe est total. Le 45 tours publié le 7 juillet s'installe directement à la première place des "charts" et y reste 3 semaines.
Mais c'est durant ce fameux "Summer of Love" sur fond de Sgt Pepper's, que Brian Epstein est retrouvé sans vie dans sa maison, à 32 ans, suite à une overdose, le 27 août. Les Beatles apprennent sa mort au retour d'une première rencontre avec le Maharishi Mahesh Yogi (un gourou auquel s'est attaché George Harrison) à Bangor, au Pays de Galles, où chacun s'est vu délivrer un mantra. La disparition de leur manager les laisse totalement désemparés et marque une nouvelle fissure dans leur carrière.
C'est également à la même époque que Paul McCartney prend clairement les rênes du groupe, un rôle laissé vacant par John Lennon dont l'égo se dissout sous l'effet du LSD. Bourreau de travail ("workaholic"), Paul sera dès lors à l'origine de la plupart des projets, la majorité des N°1 des Beatles seront son œuvre, et il n'aura de cesse de lutter contre la démobilisation progressive des autres membres du groupe.
L'année 1967 se termine par l'éreintement critique de leur film Magical Mystery Tour, considéré à sa sortie (en fait, une diffusion télévisée sur la BBC à Noël) comme leur premier véritable échec. Le fait que les téléspectateurs britanniques l'aient vu en noir et blanc ne sert assurément pas sa cause! La bande-son, publiée sur un format "double EP" (6 titres) contient toutefois de nouvelles perles, comme I am the Walrus de John Lennon et The Fool on the Hill de Paul McCartney. Magical Mystery Tour connaitra une deuxième vie en tant qu'album dans lequel on retrouvera compilés en face B les 45 tours publiés la même année comme les superbes et indissociables Strawberry Fields Forever (Lennon)/Penny Lane (McCartney) traitant tous deux de la nostalgie de leur enfance à Liverpool, ainsi que All You Need Is Love et Hello Goodbye.
Les personnages du Walrus (tiré du livre Through the Looking-Glass de Lewis Carroll) et de The Fool on the Hill, ainsi que Strawberry Fields Forever, seront également repris en référence dans Glass Onion du double album blanc en 1968 : "The Walrus was Paul" chantera John Lennon...
L'Inde, Yoko et l'Album Blanc :
Mi-février 1968, les Beatles partent avec leurs épouses et amis dans le nord de l'Inde, à Rishikesh, rejoindre le Maharishi Mahesh Yogi, afin de recevoir son enseignement et apprendre la Méditation transcendantale. Ils y passent huit semaines, et y vivent une extraordinaire période créative, composant 48 chansons qui rempliront jusqu'à leurs albums solos après leur séparation.
Alors que Ringo comparera l'ashram de Rishikesh aux camps de vacances de son enfance, que Paul dira s'être "trompé" sur le compte du Maharishi et que John repartira très fâché contre lui, le considérant comme un imposteur (ce qu'il dira dans sa chanson Sexy Sadie), seul George lui reste fidèle. Cet hiver-là, John Lennon se rapproche de l'artiste d'avant-garde japonaise Yoko Ono dont il ne se séparera plus, délaissant son épouse Cynthia. Dans les bacs, en mars, sort un nouveau tube, le 45 tours Lady Madonna écrit par Paul.
En mai, ils entrent en studio pour enregistrer The Beatles (The White Album) à partir du matériel majoritairement composé en Inde... sur le seul instrument dont ils disposaient, la guitare acoustique. Plusieurs chansons créées et jouées durant leur séjour (Dear Prudence et Julia de Lennon, Blackbird, Mother's Nature Son, I Will et Rocky Racoon de McCartney), où John a appris de Donovan une nouvelle technique de picking, apparaîtront ainsi sur le disque, jouées en solo par leurs auteurs ou enregistrées en formation réduite.
Selon leur habitude (publier des titres sur 45 tours qui ne sont pas inclus dans les albums), les Beatles sortent en août le single Hey Jude/Revolution enregistré durant les séances de l'Album blanc, et qui connaitra de nouveau un grand succès. Malgré la longueur tout à fait inhabituelle de Hey Jude: 7 minutes ! C'est une chanson de McCartney divisée en deux parties distinctes, destinée au fils de John, Julian, qui sera unanimement saluée, tandis que Lennon a tenu a délivrer un message politique en plein bouillonnement de la jeunesse occidentale (mai 68 en France, notamment) : dans la version rock de Revolution, celle qui figure en face B du 45 tours, il dit : "But when you talk about destruction, don't you know that you can count me out"/"Si tu parles de destruction, ne comptes pas sur moi", alors que dans la version "blues", plus lente, qui figure sur l'Album blanc, enregistrée plus tôt, il avait ajouté "in" ("ne comptes pas sur moi/comptes sur moi"). Lennon expliquera qu'encore indécis sur ce sujet, il avait préféré dans un premier temps considérer les deux options...
Ces sessions à Abbey Road sont tendues, la présence de Yoko Ono dans le studio aux côtés de John indispose fortement ses camarades. Chacun enregistre souvent séparément et se sert des autres comme "musiciens de studio" sur ses propres compositions. D'ailleurs, avant de coucher sur bande le titre qui ouvrira cet album, Back In The USSR, Ringo Starr prend la mouche et, sur une mauvaise blague de McCartney quitte le groupe. Malgré cela, les Fab Four enregistrent à trois avec le bassiste (Mc Cartney) à la batterie et le guitariste (Harrison) à la basse.
Ce qu'en dira Ringo témoigne bien de l'atmosphère qui régnait lors de ces sessions : "Je suis parti parce que j'éprouvais deux sentiments. Celui de ne pas très bien jouer, celui que les trois autres étaient vraiment heureux et que j'étais un étranger. Je suis allé voir John. (...) Je lui ai dit : "Je quitte le groupe parce que je ne joue pas bien. Parce que j'ai l'impression de ne pas être aimé, d'être exclu. Alors que vous êtes tellement proches tous les trois." John m'a répondu : "Je croyais que c'était vous trois qui étiez très liés"! Je suis ensuite allé voir Paul et je lui ai dit la même chose. Paul m'a répondu "Je croyais que c'était vous trois !" Je n'ai pas pris la peine d'aller voir George, j'ai dit : "Je pars en vacances." J'ai pris les gosses et je suis parti pour la Sardaigne".
Lorsque Ringo Starr revient de Sardaigne, il découvre sa batterie couverte de fleurs dans le studio d'Abbey Road. Ils se resserrent dans un tout petit espace pour enregistrer en direct le Yer Blues de John Lennon, se déchaînent en interprétant Helter Skelter de Paul McCartney : on entend Ringo hurler "J'ai des ampoules aux doigts !" ("I've got blisters on my fingers") à la fin du morceau. La tension retombe également lorsque George Harrison invite Eric Clapton pour jouer le solo de guitare sur son titre While My Guitar Gently Weeps.
Publié le 30 novembre 1968, The Beatles est salué comme une grande réussite, et connait un immense succès commercial. Le public est cependant déconcerté par Revolution 9 un long (près de 9 minutes) collage sonore expérimental réalisé par John et Yoko. George Martin supplie John de retirer ce titre du disque, sans succès. Dans le genre expérimental, Lennon et Ono font encore plus fort en publiant le même mois Two Virgins où tous deux apparaissent nus sur la pochette.
La fin :
"Get Back"
En janvier 1969, les Beatles se retrouvent autour d'un nouveau projet initié par Paul McCartney : filmer et enregistrer des répétitions pour aboutir à une prestation live, revenir aux origines et bannir tout ajout en studio. Les séances du projet "Get Back" (ainsi nommé d'après la chanson éponyme, qui aurait dû donner son titre à l'album en préparation) se passent mal, les tensions qui s'étaient fait jour lors des sessions de l'Album blanc renaissent dans les froids studios de Twickenham à des heures matinales et la présence constante de Yoko Ono, à la limite de l'ingérence, n'arrange pas l'ambiance... tout comme le dirigisme de Paul. Ils jouent de tout et de rien, beaucoup (une centaine de titres seront abordés, en quelques notes seulement pour certains), font le boeuf, jouant souvent faux, mal et sans conviction. John Lennon apparait largement démobilisé, tandis que George Harrison est de plus en plus excédé. Après Ringo, c'est lui qui quitte le groupe, le 10 janvier, puis revient 12 jours plus tard. Son ressentiment, sa frustration de rester en tant que compositeur à l'ombre du tandem Lennon/McCartney et de se voir fréquemment refuser des chansons qu'il aimerait voir placées sur les disques, ne cessent de grandir.
Les Beatles se rabattent ensuite sur leur propre studio au 3, Saville Row où est situé le siège de leur compagnie Apple, s'adjoignent Billy Preston au clavier à l'initiative de George Harrison et finissent par donner leur ultime prestation publique sur le toit de leur immeuble, le 30 janvier 1969, qui sera interrompue au bout de 42 minutes par la police suite à des plaintes pour cause de vacarme. De ce mois de janvier 1969 sortira le film "Let It Be", chronique de la dissolution d'un groupe (on y voit notamment George Harrison interpeller Paul McCartney : "OK, bon, je m'en fous. Je jouerai ce que tu veux que je joue, ou je ne jouerai pas du tout si tu ne veux pas que je joue. Je ferai tout ce qui pourra te faire plaisir"), et des kilomètres de bandes qui seront dans un premier temps rangées au placard, tant les membres du groupe s'en montrent insatisfaits.
"Abbey Road"
Avec l'idée de ne pas rester sur cet échec, Paul McCartney contacte George Martin en lui proposant de faire un disque "comme avant" ("As we used to do")."Comme vous étiez ?" ("as you used to be?") "Avec John ? John est d'accord ?" demande le producteur. "Oui, il est d'accord" répond le bassiste. Les Beatles vont se réunir une dernière fois dans les studios EMI d'Abbey Road durant deux mois (juillet-août 1969), bien décidés à mettre de côté leurs dissensions, à tirer dans le même sens, afin de "sortir sur une note élevée". Cependant, John Lennon ratera le début des sessions, le temps d'être soigné après un accident de voiture.
Une collection de chansons dont certaines ont été composées en Inde, enregistrées sous forme "démo" à l'époque de l'Album blanc, et/ou répétées en janvier 1969 pour le projet Get Back, sont retravaillées pour aboutir à l'album Abbey Road. Quoi de plus simple que de donner à leur ultime oeuvre commune le nom de la rue (ils se feront photographier sur le passage piéton, le 8 août, pour la pochette du disque) où sont situés les studios dans lesquels ils ont enregistré l'immense majorité de leurs chansons depuis sept ans ?
Les chansons évoqueront les tracas et frustrations du moment, parlant d'argent qu'on n'arrive pas à obtenir, de dettes, de négociations juridiques, de poids à porter pour longtemps, de marteau d'argent qui s'abat sur la tête des gens dès que les choses vont mieux (Paul McCartney), de retour du soleil après un hiver long, froid et solitaire (en fait, les grands moments de tensions au sein du groupe évoqués par George Harrison) ou d'un jardin sous-marin où "il n'y a personne pour nous dire ce que (nous) devons faire" (Ringo Starr).
Ce sera leur premier (et dernier) album entièrement réalisé en huit pistes, et également, un des premiers dans l'histoire du rock où l'on entend du synthétiseur, un Moog en l'occurrence, acquis par George Harrison auprès de son créateur, Robert Moog.
Les harmonies polyphoniques qui avaient rendu les Beatles célèbres sont de retour, et contribueront au succès d'Abbey Road, sorti le 26 septembre 1969 (c'est leur album le plus vendu après Sgt Pepper's). Leur sommet dans ce domaine est sans doute constitué par Because, titre que John Lennon a composé en entendant Yoko Ono jouer Moonlight Sonata de Ludwig van Beethoven et en lui demandant de refaire les notes à l'envers. Sur "Because", les trois voix de John, Paul et George se superposent... 3 fois, soit une poignante harmonie à 9 voix que l'on a pu entendre "a cappella" sur le disque Anthology 3 sorti en 1996, et de nouveau sur Love en 2006.
La particularité d'Abbey Road est d'être constitué en partie de collages entre elles de chansons ébauchées et inachevées. L'habitude fut prise de dire que la face A de l'album, qui s'ouvre sur Come Together et se referme sur I Want You de John Lennon, reflète principalement son influence, et la face B, qui contient le fameux "Medley" long de 16 minutes, celle de McCartney. Même si George Harrison se montre très inspiré avec Here Comes The Sun et surtout Something qui sera son premier et son seul nº 1 avec les Beatles...
Le "Medley", articulé autour du thème musical de You Never Give Me Your Money de Paul, et qui contient en son sein trois bouts de chansons de John (Sun King, Mean Mister Mustard et Polythen Pam) est élaboré par George Martin et Paul McCartney. Mais, contrairement à beaucoup d'idées reçues émises postérieurement, et comme l'expliqueront John Lennon et George Harrison, le groupe collabore dans son ensemble pour décider de l'ordre des morceaux, trouver de quoi remplir les mesures entre chacun, les enchaînements et les breaks. Ils enregistrent la "piste de base" (basic track), les 9 morceaux du Medley, d'une seule traite, après avoir assidûment répété le tout.
L'apparente dernière plage du disque, qui clôture le "Medley", s'intitule The End et se termine par une inédite série de solos (Ringo Starr à la batterie d'abord, puis Paul, George et John tour à tour à la guitare sur une mesure chacun) et la fameuse phrase "And in the end, the love you take is equal to the love you make" (à la fin, tu prends autant d'amour que tu en as donné). La - vraie - dernière plage du dernier disque des Beatles, morceau caché par un "blanc" sur le sillon du 33 tours, est minuscule (Her Majesty) et parle d'une manière peu commune de la reine d'Angleterre. Elle se situait à l'origine au cœur du Medley, entre Mean Mister Mustard et Polythen Pam, Paul McCartney avait demandé à l'ingénieur du son en service de la retirer. Mais ce dernier, à des fins de sauvegarde (la consigne était qu'aucun des enregistrements des Beatles ne devait être jeté à la poubelle) la placera en fin de bande, après un blanc, derrière The End, coupée nette, et en l'entendant ainsi positionnée, Paul donnera son accord. N'étant pas créditée au dos de la pochette originale du 33 tours, Her Majesty sera considérée comme la première "chanson cachée" ("Hidden Track") de l'histoire du rock.
Le 20 août 1969, les Beatles complètent l'enregistrement du titre de John Lennon I Want You (She's So Heavy) : c'est la dernière fois qu'ils sont réunis tous les quatre en studio.
Même si le succès est toujours présent, même si cette ultime collaboration sera "heureuse" selon les acteurs (car tous savent que c'est la dernière fois) le plaisir de jouer ensemble ne les attire plus. Les Beatles disent ici pour de bon adieu aux Beatles, en montrant une dernière fois l'aspect miraculeux de leur association. "Tout le monde a incroyablement bien travaillé. C'est pourquoi j'aime particulièrement cet album" dira George Martin.
"Paul is dead"
Paul McCartney est par ailleurs, au même moment, l'objet d'une incroyable rumeur, qui voudrait qu'il se soit tué dans un accident de voiture en novembre 1966 et aurait été remplacé par un sosie. Pour les partisans de cette thèse, tout est bon pour l'accréditer en 1969.
quelques exemples :
* Les mots mystérieux de John Lennon à la fin de Strawberry Fields. On l'entendrait dire "I Buried Paul" ("J'ai enterré Paul") alors qu'il prononce en fait "Cranberry Sauce" ("confiture d'airelles").
* La phrase "He blew his mind out in a car" ("Il s'est éclaté la cervelle dans un accident de voiture") dans A Day in the Life. Lennon évoque en fait le jeune héritier des brasseries Guinness, Tara Browne, qui s'est tué à 21 ans au volant de sa Lotus Elan en décembre 1966.
* À l'intérieur de la pochette de Sgt. Pepper's, McCartney porte un badge sur lequel on peut lire "OPD", ce qui donne bien sûr "Officially Pronouced Dead". En fait, ce n'est pas OPD qui est inscrit, mais OPP, soit... "Ontario Provincial Police"! On pourra aller aussi jusqu'à poser un miroir devant les mots "LONELY HEARTS" au centre de la grosse caisse devant laquelle pose le groupe. Cela donne "1 ONE I X HE ^ DIE", et bien sûr les folles interprétations qui vont avec. Enfin, Au verso de la pochette, ses trois camarades sont de face et lui, de dos.
* Revolution... Number 9 comme les 9 lettres de McCartney, et l'on entendrait nettement dans ce long collage sonore, œuvre de John Lennon et Yoko Ono, le bruit d'un accident de voiture... Les partisans de la thèse évoquée ici trouvent également de très nombreuses "preuves" de leurs allégations en passant Revolution 9 à l'envers...
* La pochette d'Abbey Road fourmille d'indices pour étayer le postulat délirant : Paul traverse le passage piéton pieds nus (comme les morts que l'on enterre en Inde), la Volkswagen blanche que l'on voit est immatriculée "LMW 28 IF" soit "Living-McCartney-Was 28 years old-If" ("McCartney vivant aurait eu 28 ans", ce qui ne peut pas vraiment concorder car McCartney avait 27 ans lorsqu'Abbey Road est sorti), il tient sa cigarette de la main droite alors qu'il est gaucher, etc.
La liste des indices est donc longue, et non exhaustive dans ce chapitre. Le canular, comme le tintamarre médiatique, est énorme. Paul McCartney finit par prendre l'affaire en mains pour apporter un cinglant démenti. Malgré tout, Il existe encore presque 40 ans plus tard des gens qui tentent de faire perdurer ce mythe. On trouve par exemple des dossiers sur internet avec analyses photographiques à l'appui.
"Let it Be"
Une fois les sessions du disque Abbey Road achevées, et alors que le single Come Together/Something va occuper partout la tête des hit-parades (tandis que le 33 tours restera 17 semaines nº 1 en Angleterre à partir du 4 octobre), John Lennon annonce aux autres Beatles qu'il quitte définitivement le groupe lors d'une réunion le 20 septembre 1969. Ils conviennent que cette nouvelle doit rester secrète, compte tenu des enjeux commerciaux. Les Beatles se sont sévèrement disputés autour du nom de leur nouveau manager, entre Allen Klein, soutenu par Lennon, Harrison et Starr, et Lee Eastman, avocat père de Linda, la femme de Paul. Klein, que Paul déteste, sera leur dernier manager.
La toute dernière session d'enregistrement des Beatles (sans Lennon) a lieu le 3 janvier 1970 avec le titre de George Harrison "I Me Mine". En mars, sur une idée de John Lennon, les bandes enregistrées en janvier 1969, ce qui deviendra le disque "Let It Be", sont confiées au producteur américain Phil Spector, lequel ajoute chœurs féminins, arrangements de cordes, effets sonores à ces chansons qui devaient rester "brutes". En entendant le résultat sur son titre "The Long and Winding Road", Paul McCartney, qui n'a pas été consulté, pique une énorme colère.
Le 10 avril 1970, concomitamment à la sortie de "Let It Be" produit par Spector, Paul McCartney sort son premier album solo, McCartney, et annonce à travers un communiqué de presse inséré dans la pochette de son disque solo qu'il ne fait plus partie du groupe suite à des "désaccords sur les plans personnel, financier et artistique". Il rompt donc lui même le secret et s'attribue la séparation, ce qui aura le don d'outrer ses camarades. «Je n'avais pas l'intention que ce communiqué signifie que je quittais le groupe. C'est un gros malentendu. Quand j'ai vu les unes des journaux, j'ai juste pensé "Christ, qu'ai-je fait ?" Et maintenant, on y est. Je n'ai pas quitté les Beatles. Les Beatles ont quitté les Beatles, mais personne ne veut être celui qui dira que la fête est terminée», se justifie-t-il à chaud.
«Oui, j'étais dans les Beatles. Oui, nous avons fait des grands disques ensemble. Oui, j'aime ces gars. Mais c'est la fin de l'histoire», explique Ringo Starr.
«J'ai fondé les Beatles et je les ai di